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Pourquoi se tapote-t-on les petons ?

Morihei Ueshiba

Avant de vous laisser découvrir la signification de ce titre à la prosodie amusante, je voudrais vous poser la question suivante : à quel moment, d’après vous, débute un cours d’Aïkido ? Afin de vous aider à y réfléchir, je vous propose la liste suivante, délibérément désorganisée dans le temps:

  • quand j’entre dans le vestiaire
  • après l’échauffement
  • quand je monte sur le tatami et que je salue le kamiza
  • quand on monte au bar
  • après le salut au professeur
  • quand je me réveille le matin, le jour du cours
  • quand je prépare mon sac pour partir au Dojo

Parmi toutes ces réponses, une seule est certainement fausse; toutes les autres ne sont pas justes pour autant et je vous propose d’arrêter ici votre lecture quelques secondes pour réfléchir à la réponse qui vous semble la plus juste et dont nous pourrons discuter sans fin… au bar. Si vous avez pensé ‘le cours débute après l’échauffement’, c’est à vous que je m’adresse en particulier et je vous prie donc d’être attentif à ce qui suit.

Il y a au moins deux façons de considérer l’échauffement dans un cours d’Aïkido. Pour certains, c’est une routine sans intérêt, à laquelle il faut se plier (dans tous les sens du terme); on exécute les mouvements proposés machinalement, la tête ailleurs, en attendant que les choses sérieuses commencent. Ne pensez pas que cette remarque ne vous concerne pas, car nous vivons tous ces moments d’inattention où le mental se met à vagabonder et où, tout à coup, on s’absente puis on se réveille, avant de partir de nouveau. Si vous pensez que vous non, ça ne vous arrive jamais, votre cas est sérieux… Une bonne nouvelle cependant : la pratique régulière de l’Aïkido développe la capacité à rester attentif et dans le moment présent.

La deuxième façon de considérer l’échauffement est bien sûr de l’envisager comme totalement intégré au cours d’Aïkido. Et vu sous cet angle, il devient beaucoup plus intéressant (en supposant bien sûr que le cours vous intéresse, mais vous ne viendriez pas si ce n’était pas le cas). Nous allons donc passer en revue quelques exercices, pendant lesquels il est fréquent d’observer chez les élèves des positions ou des mouvements incorrects. Nous parlerons également de mouvements, généralement effectués correctement, mais dont on ignore à quoi ils servent.

Premier exercice : la fente avant. Si ça ne vous dit rien, pensez à la position de l’escrimeur qui effectue ce geste pour aller toucher son opposant hors de portée (avant la fente, bien sûr). Vous avez donc une jambe fléchie et l’autre tendue derrière. Si elle est tendue devant, vous êtes dans un cours de danse folklorique ukrainienne appelée kasatchok. Premier défaut observable : la position du paresseux. La fente avant du paresseux est caractéristique : la jambe avant est très peu fléchie et la jambe arrière très peu tendue. Deuxième défaut souvent observable dans cet exercice, le pied arrière est orienté à 90°, voire vers l’arrière. Troisième défaut fréquent : le pied avant n’est pas dans l’axe, mais rentrant ou sortant.

Corrigeons tout ça ! Voici une méthode efficace permettant de corriger les défauts de posture ou de mouvement dans un exercice; il suffit de se demander à quoi sert l’exercice en question, à quelle situation dans la pratique de l’Aïkido il peut bien correspondre. Dans la fente avant, le fémur de la jambe avant devrait être horizontal, le tibia vertical et le pied dans l’axe. Cet exercice renforce les quadriceps, les grands fessiers et les ischio-jambiers. Si le pied avant n’est pas dans l’axe, cet exercice provoque des contraintes sur le genou qui risquent de mettre un terme précoce à une belle carrière d'aikidoka. Cette flexion de la jambe est très utilisée pour conserver une saisie du poignet, par exemple; il faut descendre et pouvoir rester dans cette position, voire se déplacer dans cette position jambe fléchie, si Tori vous impose un déplacement. Passons à la jambe arrière; elle doit être tendue, ce qui étire le biceps fémoral et le pied doit être orienté vers l’avant, pour favoriser l’étirement des mollets. Ces derniers permettent la propulsion rapide sur l’avant (irimi) face à une attaque. Un pied arrière orienté perpendiculairement au sens de la marche donne de la stabilité, mais ne permet pas la propulsion. N’oubliez pas que l’Aïkido a pour but, entre autres, le développement de l’efficience ou du rendement dans l’utilisation du corps, c’est à dire l’obtention d’un résultat optimum avec le minimum d’effort. Là, le paresseux retrouve le sourire. Voilà, à partir d’une simple position d’échauffement, les quelques questions que vous pouvez vous poser et les corrections que vous pouvez y apporter.

Deuxième exercice : les jambes largement écartées et bien fléchies, prendre appui sur l’intérieur d’un genou et tourner la tête du côté opposé, jusqu’à regarder derrière soi. Ne cherchez pas à faire un tour complet comme dans le film l’Exorciste, mais un effort dans la rotation de la colonne vertébrale fait beaucoup de bien, à condition qu’il soit doux et progressif. Certaines personnes se contentent de regarder sur le côté en fléchissant très peu les jambes; ceci ne sert à rien. Regardez autour de vous et vous verrez des aïkidokas totalement engagés dans l’exercice. Faites comme eux, mettez du coeur à l’ouvrage et de la conscience dans ce que vous faites.

Troisième exercice : frapper légèrement du poing toutes les parties du corps. A quoi sert ce curieux rituel? Certains disent qu’il réveille l’énergie dont on a tant besoin dans la pratique d’un art martial; d’autres que cet exercice prépare le corps aux nombreux contacts et chocs qu’il va recevoir pendant le cours, que ce soit à l’occasion des chutes ou de la rencontre avec le partenaire, dont l’intensité est disons… variable. Et pourquoi se tapote-t-on les petons, alors ? Cette pratique suit généralement l’échauffement des chevilles et des orteils et détend les muscles de la voûte plantaire, ce qui fait beaucoup de bien. On ne s’y attarde pas en cours, mais si cet exercice vous plaît, pourquoi ne pas le pratiquer chez vous ? Vous pouvez alterner auto-massage de la plante des pieds et percussions, par exemple.

Enfin, on ne peut parler d’échauffement ou d’Aïkido sans parler de respiration. C’est un sujet tellement important qu’il mériterait qu’on lui consacre quelques pages. On trouve d’ailleurs des tas de bouquins sur le sujet, mais que peut-on en dire brièvement ? Une bonne respiration doit vous donner cette sensation de fraîcheur et de vigueur retrouvée, à la fin d’un cours d’Aïkido. Une respiration naturelle est abdominale; si vous avez un bébé sous la main, regardez le dormir et vous verrez que c’est l’abdomen qui se gonfle et se dégonfle. Sinon, regardez respirer le roi de la détente, de la relaxation et de l’efficience musculaire : votre chat. Votre respiration devrait être consciente. Dans la journée, nous sommes occupés par notre travail, qu’il soit sédentaire ou non et pensons rarement à notre respiration. Profitez du cours d’Aïkido pour respirer consciemment et joindre le souffle au geste. Dans tout mouvement d’Aïkido, il y a ces fameuses trois phases : placement, déséquilibre et projection ou amené au sol. Que vous soyez Uke ou Tori, vous devriez utiliser l’inspiration sur les premières phases et l’expiration sur la projection. On traduit souvent ‘kokyu nage’ par projeter avec le souffle. Pendant un cours d’armes, montez le bokken ou le jo au dessus de la tête en inspirant et frappez en expirant; le kiai est une projection du souffle poussée à son paroxysme, le cri. Quand on débute l’Aïkido on n’ose pas crier par crainte du ridicule; pourtant le cri possède des vertus bienfaisantes, car il permet de lâcher des tas de choses, de la colère, de la peur ou de l’anxiété; le cri est libérateur. Profitez du cours d’armes pour pousser une bonne gueulante, vous allez voir comme ça fait du bien. A propos, avez-vous déjà essayé de crier en inspirant ?

Pour résumer, mettons de la conscience dans ce que nous faisons et respectons notre corps. Soyons attentifs, car l’attention est source de plénitude. Respirons consciemment, profondément et avec joie. Crions dès que nous en avons la possibilité ! L’Aïkido nous donne l’opportunité d’appliquer toutes ces recommandations et, peu à peu, nous les utiliserons hors du Dojo.

Morihei Ueshiba